Elle avait passé sa journée en salle d’opération, à soigner divers animaux. Ça lui avait permis de s’occuper l’esprit, de ne pas penser au fait que Julian était de nouveau absent et qu’il lui manquait terriblement. Certes, il n’était parti que depuis deux jours, histoire de rendre visite à ses parents qui vivaient à Seattle, mais elle avait l’impression qu’il était parti aussi longtemps que durant ses huit mois passés en mission. Au début il lui avait demandé de l’accompagner, mais elle n’avait pas souhaité venir. Après tout, elle ne pouvait pas quitter son travail comme ça, elle avait une clinique à faire tourner ! Elle était donc restée sagement à la maison, à attendre son retour. En vérité, elle passait sa vie à l’attendre, et cela durait depuis sept ans maintenant. Sept longues années. Et si elle comptait tous les mois où il avait été absent durant ces années-là, elle était persuadée qu’au final, il n’avait pas été là plus de la moitié du temps. Combien d’années avait-elle passé avec son homme, au bout du compte ? Trois ans ? Tout juste quatre peut-être. Et ces absences répétées et prolongées lui pesaient, elle voulait qu’il arrête tout, qu’il reste avec elle, mais il n’en faisait qu’à sa tête. Ce métier, c’était toute sa vie. Le souci, c’est que cet homme était toute la vie de la jeune femme. Et si un jour elle venait à le perdre, elle ne s’en remettrait pas. Mais pour le moment elle devait se détendre et oublier l’angoisse qui lui nouait l’estomac lorsqu’il n’était pas là, car il s’était simplement rendu à Seattle et il devait rentrer le soir même. Elle avait hâte de le retrouver et de passer toute sa soirée en sa compagnie. Une soirée qui s’annonçait plutôt bonne, si rien ne venait l’entacher.

Lorsqu’il fut l’heure pour elle de rentrer à la maison, elle ferma la clinique, laissant derrière elle une jeune assistante de garde cette nuit-là pour s’assurer que les animaux qui restaient en observation allaient bien. Elle monta ensuite dans son véhicule et roula jusqu’à chez eux. Visiblement, son homme était déjà rentré puisque de la lumière s’échappait par les vitres de la cuisine. Un mince sourire étira la commissure de ses lèvres et une joie intense l’envahie. Récupérant ses affaires à la hâte, elle se dépêcha de rentrer à l’intérieur de la demeure, juste à temps pour entendre son fiancé crier. Hum… Elle haussa légèrement les sourcils et, après s’être débarrassée de sa veste et de ses chaussures, gagna la cuisine d’où venait de s’échapper cet étrange cri. Un rire lui échappa lorsqu’elle découvrit Julian, un plat de pâtes bien collantes et bien dégoûtantes à la main. « Je vois que la cuisine n’est toujours pas ton point fort. » Mais au moins il avait essayé et cette attention toucha la jeune femme. Elle était heureuse de le revoir et apparemment lui aussi, puisqu’il vint immédiatement la prendre dans ses bras, un sourire idiot sur les lèvres. Puis il l’embrassa et elle prolongea tendrement ce baiser, le savourant pleinement. « Toi aussi tu m’as terriblement manqué. Presque autant que durant ces huit derniers mois ! » Elle se blottit contre lui et nicha son nez dans le creux de son cou, respirant son odeur qu’elle aimait tant. Elle se sentait tellement bien dans ses bras, tellement en sécurité. Elle aurait voulu que le temps s’arrête et qu’elle reste là pour toujours. « Alors, comment vont tes parents ? Ils ont dû être ravis de te retrouver. » Elle sourit puis se détacha doucement de son étreinte, ouvrant quelques placards pour trouver ce dont elle avait besoin : deux bols et deux sachets de purée en poudre. Elle ouvrit ensuite le frigo duquel elle sortit quelques tranches de jambon et déposa le tout sur la table. Ça n’était pas un grand repas, mais étant donné que Julian venait de faire brûler les pâtes et qu’elle n’avait rien prévu d’autre, ça suffirait pour ce soir. De toute façon il ne devait pas manger de la grande cuisine lorsqu’il était en mission, alors… « Tu peux mettre la table s’il te plaît ? » Elle attrapa les deux sachets de purée et commença à les préparer, avant de tout mettre au micro-ondes. Puis elle s’appuya contre le plan de travail, face à son homme et lui sourit tendrement. Il était là, avec elle, et elle n’aurait pas pu être plus heureuse qu’en cet instant.

A cet instant, il aurait pu arriver n’importe quoi, elle s’en fichait. Elle s’en fichait car son homme était à ses côtés et c’était tout ce qui comptait. Et tandis qu’elle s’appuyait contre le plan de travail, elle posa son regard sur son beau visage. Elle aimait le regarder et, si on lui en avait donné l’occasion, elle aurait été capable de rester des heures entières à l’observer. C’était d’ailleurs ce qu’elle faisait parfois, la nuit, lorsqu’il était profondément endormi et qu’elle peinait à trouver le sommeil. Ça arrivait souvent quelques jours avant ses départs en mission. Elle était tellement stressée et malheureuse qu’elle ne parvenait pas à s’endormir. Alors, pour faire passer le temps, elle regardait son homme dormir. Il était tellement beau, tellement paisible et serein lorsqu’il dormait. S’en était tout aussi apaisant et ça la réconfortait quelque peu. Cependant l’inévitable arrivait toujours et elle devait se passer de ses petits instants durant des mois complets. Des mois où elle s’angoissait pour lui, où elle ne dormait pratiquement plus, où elle arrêtait de vivre. Comme si elle retenait son souffle et qu’elle ne s’autorisait à respirer que lorsqu’il passait le pas de la porte, sain et sauf. Une longue agonie qui n’avait pas de cesse, qui continuerait tant qu’il serait dans l’armée. Elle espérait que cette fois-ci il allait rester un peu plus longtemps avec elle, mais elle ne se faisait pas d’illusions. Il était toujours rappelé sur le terrain trop rapidement et elle avait tout juste le temps de profiter de lui. Bon sang, si seulement il avait pu rester. Elle connaissait le seul moyen qui lui aurait permis de le faire rester, seulement elle refusait de s’en servir, ça n’aurait pas été correct et il lui en aurait énormément voulu. Or, elle se disputait déjà suffisamment avec lui à ce sujet, elle ne voulait pas empirer les choses. Même si parfois elle était terriblement tentée. Ça aurait été si simple de jeter ses plaquettes de pilules et de laisser faire la nature. Elle en avait tellement envie… Mais ils n’étaient pas du même avis et elle ne pouvait pas lui imposer ça. Alors ils souffraient tous les deux, en silence. C’était difficile, mais c’était comme ça.

Lorsqu’elle se retourna pour le regarder, il fut près d’elle en quelques enjambées. Un fin sourire illumina le visage de la jeune femme lorsqu’il déposa ses lèvres sur les siennes, et un frisson lui parcourut l’échine alors que ses doigts effleuraient son oreille, remettant une mèche blonde à sa place. Son cœur battait la chamade, comme une jeune adolescente vivant son premier amour. Sept années passées avec lui et pourtant elle l’aimait encore comme au premier jour. Elle l’aimait même plus que ça. Était-il possible d’aimer autant sans se lasser ? Apparemment oui. « Alors reste… Ne repars pas, reste avec moi, je t’en supplie. » Chaque fois c’était la même chose. Et chaque fois c’était la même réponse. Elle savait à quoi s’attendre, pourtant chaque fois elle essayait. Se hissant sur la pointe des pieds, elle vint poser son front contre le sien, son regard vert se plantant dans le sien, azur, tandis qu’une lueur suppliante dansait dans ses yeux. « S’il te plaît, j’ai besoin de toi… Chaque jour passé loin de toi est une torture. Je passe mon temps à m’inquiéter, chaque seconde de chaque minute. Ça fait sept ans que je supporte ça Julian, je n’en peux plus. Je sais que ce métier c’est toute ta vie, mais moi ma vie c’est toi. Toi et seulement toi. Que ferais-je le jour où tu ne reviendras pas ? Ma vie n’aura plus aucun sens, plus aucun but. Ne me laisse pas en arriver là, reste avec moi. » Des larmes perlèrent au coin de ses yeux tandis qu’elle parlait d’une voix épuisée et désespérée. Et puis la sonnerie du micro-ondes vint faire voler l’instant en éclats et elle s’essuya les yeux d’un revers de la main, se libérant de son étreinte pour sortir les bols et les poser sur la table de la cuisine. Elle savait qu’elle avait fait une erreur en lui parlant de ça, elle n’aurait pas dû. Ses paroles avaient certainement gâché toute la soirée et, si cela ne menait pas à une énième dispute, elle aurait de la chance. Beaucoup de chance.

Il souhaitait pouvoir la voir tous les jours, il venait de le lui dire à l’instant. Et il n’en fallait pas plus à la jeune femme pour sauter sur l’occasion et le supplier encore une fois de rester. Seulement, comme elle s’y attendait, la réponse de son homme fut négative et une lueur de déception et de douleur passa dans les yeux de la blonde. Non, bien sûr que non, il ne pouvait pas rester, ça aurait été idiot de penser le contraire… Il avait des obligations auprès de l’armée, après tout il avait signé un contrat, il ne pouvait pas faire ce que bon lui semblait. Il ne pouvait pas rester tranquillement chez lui si jamais il était appelé à partir en mission, seulement parce que sa femme le lui demandait. Alors pourquoi lui en voulait-elle autant de cette réponse si négative ? Peut-être parce que plus le temps passait et plus il s’absentait longtemps, tandis que ses périodes de repos étaient de plus en plus courte. Et Lexie était usée de tout ça, ce mode de vie l’épuisait et elle ne savait pas si elle pourrait continuer encore longtemps à ce rythme-là. Combien de fois s’était-elle imaginée quitter Julian ? Tout plaquer et fuir à l’autre bout du monde pour recommencer une nouvelle vie, encore une fois ? Elle l’avait déjà fait une fois lorsqu’elle avait fui les coups de poing mortels de son ex, elle aurait très bien pu recommencer. Seulement voilà, elle était éperdument amoureuse de son homme et jamais, au grand jamais, elle n’aurait réussi à le quitter. Elle aurait préféré mourir plutôt que de devoir faire une chose pareille. Cependant aujourd’hui elle en venait à reconsidérer la question. L’aimait-il suffisamment ? Ou bien n’était-elle qu’un passe-temps nécessaire lorsqu’il n’était pas en mission ? Elle savait qu’elle n’aurait pas dû se poser cette question, car cela n’apporterait que des problèmes de plus à son couple, néanmoins elle ne parvenait pas à se la ôter de la tête…

Lorsque la sonnerie du micro-ondes se fit entendre, elle se dépêcha de se concentrer dessus pour pouvoir oublier tout ça. Elle ne souhaitait plus en parler, elle voulait juste continuer sa soirée comme elle avait commencé. Mais maintenant qu’ils s’étaient tous les deux lancés sur ce terrain, c’était impossible de faire marche arrière, ils allaient devoir en parler. Et Julian semblait décidé, au vu du regard qu’il lui lançait. Cependant elle ne voulait pas entendre ce qu’il avait à lui dire. Elle connaissait son discours par cœur. Il ne pouvait pas quitter l’armée comme ça, c’était vraiment le métier de sa vie, il lui promettrait de lui donner régulièrement des nouvelles s’il devait repartir prochainement, et bla bla bla… Pourtant, au grand étonnement de la jeune femme, le discours changea légèrement ce soir-là, faisant naître une lueur d’espoir dans le cœur de Lexie. Une dernière mission ? Avait-il bien entendu ce qu’il venait de dire ? Du bout des doigts il essuya les quelques larmes qui coulaient encore sur ses joues, et elle releva la tête pour pouvoir le regarder dans les yeux. Était-il sérieux ? Serait-il enfin prêt à tout abandonner pour rester avec elle et fonder une famille ? « Une seule mission et ensuite ça sera terminé ? Terminé pour de bon ? » Elle avait du mal à y croire, c’était la première fois qu’il abordait réellement le sujet, et en plus sans hausser le ton. Une grande première pour eux. « Mais une mission de combien de temps exactement ? » C’était la réponse qu’elle redoutait le plus. Elle ne supporterait pas de le voir partir encore huit mois. Et s’il devait s’absenter plus longtemps ? Non, non ça n’arriverait pas. Ça ne pouvait pas arriver. Si seulement elle savait…

C’est alors qu’il devint plus nerveux, passant ses mains sur son visage et dans ses cheveux, tandis qu’il se mettait à faire les cents pas. Que lui arrivait-il soudainement ? Elle le regarda faire, tandis qu’il semblait chercher ses mots. Immédiatement, la jeune femme s’imagina le pire et son cœur s’emballa tandis que sa gorge se nouait. Mais les mots qui parvinrent à ses oreilles par la suite étaient inespérés et idylliques. Ils étaient incroyables, ils étaient tout ce qu’elle avait toujours rêvé d’entendre de la part de son fiancé. Elle ne rêvait pas, en plus de lui parler d’abandonner l’armée, il venait vraiment de lui parler d’avoir un bébé. Une autre grande première puisque habituellement c’était toujours elle qui abordait ce sujet épineux. Elle n’en croyait pas ses oreilles et elle resta quelques secondes bouche bée, tentant d’assimiler ce qu’il venait de lui dire. « Maintenant ? Ce n’est pas une blague, tu veux… tu veux vraiment qu’on ait un bébé ? » Ses grands yeux verts le fixaient avec intensité, tandis qu’elle se retenait de pleurer sous le coup de l’émotion. C’était peut-être un peu trop de nouvelles d’un coup, mais c’était tellement incroyable. Elle allait enfin pouvoir avoir tout ce qu’elle avait toujours voulu : un mari présent et un – et même plusieurs ! – enfant. Alors, lorsque l’information atteignit enfin son cerveau, elle se précipita vers lui et se jeta dans ses bras. Ses mains se posèrent de part et d’autre de son visage et elle l’embrassa langoureusement, encore et encore, pleinement heureuse. « Tu n’imagines pas à quel point tu me rends heureuse en cet instant… »